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Le blog de la Fête du Livre 2009 : "L'Asie des écritures croisées, un vrai roman".

samedi 17 octobre 2009

Débat « Écriture et modernité »


Écriture et modernité, avec Kim Yound-Ha, Minae Mizumura, Xu Xing animé par Noël Dutrait.

Malgré les prédictions de Noël Dutrait, le débat n'a pas trop souffert des problèmes de traduction; les dialogues entre les auteur et leurs traducteurs ont même conférés une atmosphère moins solennelle à la rencontre.
Noël Dutrait a ouvert la rencontre par une présentation rapide du parcours de chaque auteur : Minae Mizumura, qui a longtemps vécu au États-Unis, a eu besoin de retourner au Japon pour pouvoir écrire; Kim Young- Ha a fait de la modernité un des thèmes central de son oeuvre; et Xu Xing qui s'est distigué dans les années 1980 par une écriture libre des « contraintes politiques et sociales ».

Dans son dernier ouvrage, Minaé Mizumura a fait la démonstration d'une écriture volontairement moderne, tout en étant ancrée dans une certaine tradition littéraire; jusqu'à la 130ème page le « je » est celui d'une narratrice extérieure à l'histoire avant de devenir celui d'une des protagonistes. L'intrique, quant à elle, rappelle un classique de la littérature anglaise : Les hauts de hurlevent. La parole est ensuite donnée à l'auteur, qui évoque un épisode de son enfance : ses pleurs quand son père lui a acheté un pyjama, ce qui signifiait pour elle qu'elle était considéré comme un garçon. Elle s'étonne donc d'être ici avec des hommes, alors qu'enfant elle considérait l'activité littéraire comme exclusivement masculine, pour parler d'un sujet aussi important que l'écriture et la modernité. Elle souligne tout de même son absence de complexes face aux deux autres auteurs présent par un trait d'humour sarcastique : l'un a grandit pendant la révolution culturelle (Xu Xing), et l'autre n'a pas l'air très cultivé (Kim Young-Ha).
À la suite de quoi elle fait un exposé de l'évolution de la littérature et de la société japonaise dans son esemble à travers le récit des tribulations d'un de ses personnages qui avait 20 ans en 1854, l'année du pilonnage des ports japonais par le commandant de marine américain Mattew Perry qui marque l'ouverture forcée du Japon à l'occident. Décidé a quitter le Japon, il entreprend de se rendre a Nagazaki puis à Osaka pour étudier le Néerlandais, la seule langue étrangère alors enseignée au Japon. À cette occasion, il se rend compte de l'occidentalisation progressive du Japon et gagne Yokoama, la seule ville autorisée a accueillir des étrangers, où il décrouve l'inutilité du Néerlandais puisque la plupart des européens au Japon sont anglophones. Ce récit met en scène les grands bouleversements de « l'ère Meiji » : bouleversements politiques, sociaux et économiques, mais aussi culturels par l'introduction de la littérature occidentale au Japon. Les oeuvres de la littérature européenne sont d'abord transposées dans le contexte japonais, on a par exemple vu des traductions de Shakespeare où les personnages portent des noms japonais, et ce n'est que 20 ans après le début de l'ère Meïji que sont publiées de vraies traductions. Cette ouverture à la culture occidentale a engendré la littérature japonaise moderne et une évolution de la langue japonaise; un langage qui exprime « l'âme moderne ».

La question posée à Kim Young-Ha fut « Que pensez vous du qualificatif de post-moderne ? », l'adjectif étant souvent utilisé pour définir son oeuvre pleine de référence à des écrivains occidentaux tels Ernest Hemingway, André Malraux ou Oscar Wilde. Aprés un hochement de tête, Kim Young-Ha a déclaré ne pas se soucier des étiquettes : tous les auteurs tentent de capter la réalité, lui-même tente de cerner la réalité de la Corée actuelle. Il conçoit la Corée, nation coincée entre la Chine et le Japon, comme une « gare routière », un lieu de passage, rencontres et collision. Il évoque ensuite l'intrigue de son dernier roman : un espion dormant nord-coréen qui n'a plus reçut d'ordres depuis 20 ans reçoit celui de rentrer en Corée du Nord. Nouvelle question de Noël Dutrait : « les critiques français ont vu dans le fait que l'intrique se déroule sur 24 heures l'influence de la série télé américaine 24 heures, est ce vrai ? ». Cette question a été l'occasion pour Kim Young-Ha de rappeler que son roman a été publié en 2003 en Corée alors que la série 24 heures n'existait pas, écrire un roman avec un intrique sur 24 heures était simplement un défi.
Le débat s'est poursuivit avec Xu Xing, que l'on a associé à la « Chinese beat generation ». Son élocution commence par des rires : son dernier livre est beaucoup plus mince que ceux des deux autres auteurs. Il avoue être un mauvais orateur, et préférerait que la conférence se poursuive sous la forme d'un dialogue, puis nous parle de sa carrière littéraire. Il commence a se faire connaître en 1985, qualifié de moderne voire d'avant-gardiste, il n'est toutefois pas familier avec ces notions qu'il qualifie de « vocabulaire ». En 1989 il a perdu l'envie d'écrire, jusqu'en 2004 où "certains événements" lui ont fait prendre conscience des évolutions de la Chine, conséquences de son ouverture, et ainsi a retrouvé son inspiration. Répondant à sa demande d'un dialogue Noël Dutrait l'interroge sur le sens du titre de son dernier roman Le crabe à lunettes. Xu Xing pense que la question devrait être posée à son éditeur qui a sûrement voulut un titre humoristique, lui même plaisante, et réussi à provoquer des éclats de rire en répondant à la question « quels sont vos projets ? » par un « j'ai écrit tout le reste sera pour toi, maintenant j'aimerais écrire tout le reste ne sera pas pour toi, parce qu'il ne reste plus grand chose ».

Noël Dutrait oriente ensuite le débat vers un thème commun aux oeuvres des trois auteurs; l'amour et le sexe. Minae Mizumura déclare s'être servit du thème usé de l'amour impossible dans son dernier roman pour pouvoir se concentrer sur la forme. Plus prolixe, Kim Young-Ha évoque son premier roman Mort à demi-mot, écrit avant son mariage à une époque ou il était « plein de libido et de testostérone ». Il a cru pouvoir se tourner vers d'autres sujets après son mariage, mais déclare encore sentir les attaques de sa libido lorsqu'il est assis à sa table de travail. On peut retrouver des traces de cette lutte dans ses oeuvres, en particulier dans L'empire des lumières qui met en scène une partie à trois, ce qui a soulevé les critiques de ses amis qui ont jugé cette scène inutile, lui considère que ce type d'excès est l'essence même de la littérature.
C'est le tour de Xu Xing de s'exprimer sur la question. Après une court moment d'hésitation, il déclare ne pas aimer décrire le sexe de façon directe, que sa littérature est dépourvue d'érotisme - on y trouve juste des jeunes gens mus par des pulsions sexuelles. Puis il s'interroge sur ce qu'est l'érotisme, est-ce ce qu'il en a vu sur les affiche des kiosques à journaux aixois, et rappelle sa place prépondérante dans la littérature traditionnelle chinoise.

La parole est ensuite donnée au public. La première question est adressée a Minaé Mizumura et Xu Xing, deux auteurs qui ont longtemps séjourné à l'étranger avant de retourner dans leur pays natal. L'envie d'écrire est elle liée à ce retour?
Minaé Mizumura a évoqué l'impossibilité d'écrire sur le Japon en vivant aux États-Unis, et Xu Xing, de l'érosion de sa capacité a s'exprimer en Chinois aprés deux années passées en Allemagne; ce qui est évidemment un handicap pour un auteur qui ne maitrise pas d'autres langues.

On demande ensuite à Kim Young-Ha si l'érotisme des ses romans a attiré l'attention de la censure; il répond que la censure est maintenant quasi-inexistante en Corée du Sud. La question suivante porte sur l'authenticité de la reconstitution de Séoul, utilisée pour entraîner les espions Nord-Coréens, décrit dans son roman. Il s'avère qu'il ne s'agit pas du fruit de l'imagination de l'auteur qui s'est inspiré d'un article du News Weeks. Kim Young-Ha s'est ensuite étendu sur le traitement de la Corée du Nord dans son roman, il s'est attaché à parler de la vision qu'en ont les sud-coréens, tout en conservant un souci de réalisme puisqu'il a rencontré un réfugié nord-coréen.

La dernière question a mobilisé les trois auteurs : « sont-ils conscients, dans ce contexte de mondialisation, que leurs écritures sont influencées par l'ensemble du monde, et qu'elles n'apparaissent pas aux Français comme "exotique" ? ». C'est Xu Xing qui se lance le premier après avoir déclaré trouver la question intéressante; les 300 dernière années ont produit en Occident une « littérature forte » qui a énormément influencé la littérature asiatique et cet
« européocentrisme » lui parait dangereux. Selon Xu Xing, on enrichi le monde en produisant sa propre littérature, son uniformisation est donc une « tendance meurtrière ». Minaé Mizumura poursuit dans la même veine en déclarant que les auteurs non-Occidentaux doivent résister à la globalisation en puisant leur inspiration dans leurs traditions littéraires nationales. L'étonnement viendra quand Kim Young-Ha, prenant à contre-pied les lieus communs, prend la parole pour dire que l'on devraient plutot s'inquiéter de l'« asiatisation » du monde; ces scènes du métro de Séoul où chacun filme ou regarde un écran pourraient devenir réalité dans le reste du monde ...

Ce débat sur Écriture et modernité a donc eu une résonance particulière du fait des origines asiatiques des romanciers invités : la forme littéraire qu'ils pratiquent est née en Europe. Leur art est donc dans son essence le fruit de la mondialisation qui fait du monde une « gare routière », pour reprendre la comparaison de Kim Young-Ha.

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